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L’humanité peut-elle vraiment « tuer » Wall Street ?

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L’humanité peut-elle vraiment « tuer » Wall Street ?

Wall Street, symbole moderne du capital, porte à la fois l’élan de la croissance économique et creuse les fractures de l’inégalité. Des manifestations Occupy Wall Street à l’engouement pour la décentralisation via la blockchain, l’humanité semble toujours en quête d’un moyen d’en finir avec elle. Mais la vraie question n’est pas seulement de savoir si l’on peut mettre fin à Wall Street, mais ce que cela impliquerait. Derrière Wall Street se cache la structure du capital de la civilisation humaine, une structure bien plus profonde et résiliente qu’une simple rue.

La nature de Wall Street : le reflet du capital

Wall Street n’est pas un centre financier isolé, mais le prolongement de la logique du capital. De l’échange de biens dans l’Antiquité aux actions, obligations et produits dérivés modernes, l’humanité n’a cessé d’explorer la répartition des ressources, la circulation de la valeur et le partage du risque. Wall Street a poussé ce mécanisme à son paroxysme : les entreprises y trouvent des financements pour se développer, les particuliers y investissent pour accroître leur patrimoine, la société y gère l’incertitude. Wall Street n’a pas inventé le capital, elle en est l’amplificateur.

La quête du profit du capital est rationnelle. Elle calcule froidement quels sacrifices rapporteront le plus. Cela engendre exploitation, bulles et inégalités, mais aussi des contraintes. Le capital a besoin d’un système stable pour survivre. La crise financière de 2008 a blessé les citoyens ordinaires, mais Wall Street en a aussi payé le prix, preuve qu’elle n’est pas invincible. Mais la myopie politique est plus dangereuse encore. Pour le pouvoir ou la popularité à court terme, la politique peut facilement réécrire les règles et détruire la capacité d’autorégulation du système. L’histoire montre que les conséquences d’une intervention politique dans l’économie sont souvent plus graves que celles d’un capital débridé : l’économie planifiée de l’URSS, le capitalisme bureaucratique de certains pays en sont la preuve.

Mettre fin à Wall Street, c’est défier la structure même du capital. Ce n’est pas qu’une question technique, mais un enjeu de civilisation. L’humanité en est-elle capable ? Plus important encore, cela profiterait-il vraiment aux gens ordinaires ?

Le prix de la fin : les conséquences du vide du capital

Imaginons la disparition de Wall Street, des marchés d’actions, d’obligations et de produits dérivés. Les entreprises perdraient leur principale source de financement. Les grandes sociétés pourraient survivre un temps grâce à leurs bénéfices, mais les PME ? Sans le soutien des marchés de capitaux, l’expansion serait freinée, licenciements, contractions et faillites deviendraient la norme. Le travail a de la valeur, mais il a besoin d’être organisé par le capital. Sans besoin d’expansion des entreprises, d’où viendraient les salaires ? Dans les pays développés, le coût élevé de la main-d’œuvre rend les entreprises particulièrement dépendantes du capital. Sans l’apport des marchés financiers, l’emploi de masse serait difficile à maintenir, et une vague de chômage pourrait s’ensuivre. Les pays en développement seraient encore plus vulnérables : le retrait du capital pourrait entraîner la fermeture d’usines et priver des millions de personnes de leur subsistance.

Le secteur technologique est particulièrement dépendant du capital. Les valorisations de Nvidia ou Tesla sont extravagantes, mais derrière ces chiffres se cache un terreau d’innovation. Sans le soutien du capital, la révolution de l’IA n’aurait peut-être jamais vu le jour. L’IA n’est pas qu’une technologie, c’est un saut cognitif. Elle abaisse les barrières à la connaissance, permettant à chacun d’accéder à des domaines complexes. Voiture autonome, interfaces cerveau-machine, avancées médicales : tout cela exige d’énormes investissements à long terme. Sans le mécanisme de financement de Wall Street, ces secteurs progresseraient bien plus lentement, voire stagneraient. Et les gens ordinaires ? Perte d’emplois, aides sociales dérisoires… leur vie serait-elle vraiment meilleure ?

Mettre fin à Wall Street semble juste, mais le vide du capital n’apporte pas automatiquement la justice, et risque au contraire d’aggraver la situation des plus vulnérables.

L’illusion des alternatives : de l’or à l’intervention politique

Si mettre fin à Wall Street est impossible, peut-on la remplacer par un nouveau mécanisme ?

Or et confiance physique : le cercle vicieux de la confiance

L’or est souvent vu comme une valeur refuge en cas d’effondrement du capital. Si les marchés disparaissaient, l’or pourrait-il devenir un moyen d’échange ? Mais sa nature physique pose problème. Comment un particulier pourrait-il fractionner un lingot pour de petites transactions ? À la main, le poids serait imprécis ; en confiant la tâche à autrui, on risque la fraude ou le vol. La sécurité est aussi un souci. Sans système de crédit, qui oserait échanger de l’or ? Le risque de vol est permanent. Même si la transaction aboutit, qui fixe les frais ? Qui fixe le prix ? Toutes ces questions ramènent à un point central : d’où vient la confiance ?

Certains proposent des tokens d’or sur la blockchain pour résoudre ces problèmes de fractionnement et de transaction. Mais ce n’est pas si simple. L’or virtuel doit être adossé à de l’or physique, sinon ce n’est qu’une suite de chiffres. Qui garantit la présence réelle de l’or en réserve ? Qui contrôle les comptes du dépositaire ? Sans responsabilité, qui fera confiance ? La blockchain peut enregistrer les transactions, mais ne garantit pas la transparence des coffres physiques. Au final, la confiance repose toujours sur des institutions centralisées. Sans garantie solide, le commerce de l’or ne fonctionne pas.

Blockchain et finance décentralisée : le manque de confiance

La blockchain et la finance décentralisée (DeFi) sont souvent perçues comme des alternatives à Wall Street. En théorie, la blockchain permet des transactions transparentes, sans intermédiaire et à moindre coût. La technologie Ethereum est déjà assez mature, alors pourquoi n’a-t-elle pas remplacé les marchés traditionnels ? La clé, c’est la confiance.

L’anonymat de la décentralisation est une arme à double tranchant. Les transactions sont irréversibles, et en cas de problème, personne n’est responsable. Les scandales, arnaques et fuites dans le monde des cryptomonnaies sont monnaie courante. La ruée vers le minage d’Ethereum en 2017-2018 a vidé le marché des cartes graphiques, fait exploser la consommation d’électricité, pour peu de valeur réelle. La bulle Bitcoin de 2020-2022 a aggravé la pénurie de puces, rendant les composants inaccessibles au grand public. Est-ce vraiment un progrès ? Plus important encore, le système de confiance de la blockchain reste immature. Les marchés traditionnels reposent sur la régulation, la transparence et la responsabilité juridique, ce que l’anonymat de la blockchain ne peut égaler. La technologie existe, mais la confiance et les cas d’usage manquent encore.

Le modèle nordique : une illusion d’équité

Le modèle nordique, avec ses impôts élevés et son État-providence, est souvent présenté comme une version améliorée du capitalisme. Soins gratuits, éducation sans souci, protection contre le chômage : cela ressemble à une société idéale. Mais il y a un revers à cette médaille.

Les avantages nordiques reposent sur la présence mondiale de leurs multinationales. Ces entreprises exploitent les ressources et la main-d’œuvre à bas coût du tiers-monde, délocalisant la pression de production et les coûts environnementaux. Par exemple, le cobalt extrait par des enfants en RDC alimente les batteries des voitures électriques et des smartphones. Les Nordiques vivent « vert » et confortablement, mais sur le dos du Sud. Le modèle nordique n’est pas une supériorité morale, mais un privilège géographique. Si tout le monde copiait ce modèle, les prix des ressources exploseraient, les chaînes d’approvisionnement s’effondreraient et le système social s’écroulerait.

Plus important encore, le modèle nordique n’a jamais abandonné les marchés de capitaux. Les entreprises nordiques lèvent des fonds sur les marchés mondiaux, et la fiscalité ne fait que redistribuer les profits sans toucher à la racine du capital. Remplacer Wall Street par le modèle nordique ? Ce serait jouer au même jeu, ailleurs.

Marchés financiers dirigés par l’État : le piège du pouvoir

Certains avancent que l’État pourrait créer un marché financier transparent, évacuant la logique du profit. Mais la politique est-elle vraiment plus transparente que le capital ? L’histoire dit non. Lorsque la politique s’immisce dans l’économie, corruption, inefficacité et clientélisme suivent. Le capital poursuit le profit, mais les règles sont claires et prévisibles ; la politique poursuit le pouvoir, et les règles changent à tout moment, sans recours possible. L’économie planifiée de l’URSS ou le capitalisme bureaucratique de certains pays en sont la preuve.

Plus profondément, un marché financier dominé par la politique pourrait tuer l’innovation. La recherche du profit est le carburant du risque : IA, Internet et autres révolutions technologiques sont nées de l’investissement massif. Si l’intérêt personnel est remplacé par des objectifs politiques, pourquoi innover ? Pour le simple plaisir de réussir ? Peut-être autrefois, mais plus aujourd’hui. Le sentiment d’accomplissement se trouve désormais dans les jeux vidéo ou les réseaux sociaux, et l’innovation n’est plus la seule voie. Si tout le monde gagne à peu près la même chose, qui prendra des risques et travaillera nuit et jour pour innover ? Sans l’incitation du capital, le progrès technologique ralentira. Les vrais talents — ceux qui osent prendre des risques et se dépasser — risquent d’être engloutis dans la médiocrité.

Capital et révolution Internet : la diffusion de l’information

Le capital n’a pas seulement propulsé l’IA, il a aussi permis la révolution de l’information. Sans le financement de Wall Street, Google, YouTube et d’autres outils qui ont changé le monde n’auraient peut-être jamais vu le jour. La diffusion d’Internet n’aurait pas été possible sans d’énormes investissements. Câblage en fibre optique, centres de données, serveurs : tout cela coûte très cher. Les vidéos de YouTube, l’algorithme de recherche de Google, tout repose sur le travail d’innombrables ingénieurs et sur le soutien du capital. Sans l’incitation des marchés financiers, qui prendrait le risque de construire ces infrastructures ? Qui investirait pour offrir des services gratuits au monde entier ?

Beaucoup pensent que l’Afrique est en retard, mais n’oublions pas que de nombreuses régions africaines ont déjà accès à Internet. Le système de paiement mobile M-Pesa au Kenya, la plateforme e-commerce Jumia au Nigeria : autant de produits du capital. La diffusion d’Internet en Afrique dépend des investissements dans les antennes, l’électricité, les équipements — et derrière ces investissements, l’ombre du capital. Sans le financement de Wall Street, comment les télécoms pourraient-elles déployer leurs réseaux ? Comment les compagnies d’électricité pourraient-elles construire leurs infrastructures ? Sans la motivation du profit, les outils de l’ère de l’information profiteraient-ils aux gens ordinaires ? Même l’accès à Internet en Afrique resterait un rêve lointain.

Conclusion

L’humanité peut-elle vraiment « tuer » Wall Street ? Techniquement, peut-être, mais ce n’est pas si simple. Wall Street n’est pas un démon, mais le reflet de la structure du capital, avec toute la cupidité et la rationalité humaine. Elle pousse la technologie en avant, mais laisse aussi des cicatrices d’injustice. Or, blockchain, modèle nordique, intervention politique : ces alternatives semblent rédemptrices, mais, une fois décortiquées, elles révèlent leur part d’utopie. Le désir de mettre fin à Wall Street cache une soif de justice, mais la justice ne tombe jamais du ciel.

Note de l’Auteur

Cet article exprime les observations et réflexions personnelles de l’auteur. Il ne s’agit pas d’une vérité universelle. Les échanges rationnels et respectueux sont bienvenus, tout comme les points de vue divergents. Merci de mentionner la source en cas de citation.

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